Conseil municipal du 3 mars 2014
Intervention d’Olivier TOURNAY (PCF)

(crédit photo : aisne nouvelle)
Monsieur le Maire, mesdames et messieurs les conseillers municipaux.
Il nous est demandé de voter une demande de subvention en faveur du déploiement de la vidéosurveillance. Aussi, il est peut être temps d’en tirer quelques conclusions après 5 ans de mise en service.
Et comme depuis le début, je n’aborderai pas la question sous un angle philosophique, est-ce bien ou mal d’être en permanence sous l’œil des caméras. J’en reste à un positionnement politique sur l’impact et le coût de la vidéosurveillance pour la commune, car nous ne pouvons pas nous contenter de ce poncif de votre cru « Qui n’a rien à se reprocher, n’a pas à craindre la vidéosurveillance ».
En effet, alors que les études scientifiques non inféodées à des lobbys sécuritaires prouvent à la fois le peu d’efficacité et le coût exorbitant de la vidéosurveillance, des communes, comme Saint-Quentin, continuent de s’équiper. Quelle est la motivation? Faire de la démagogie auprès des électeurs.
Car :
- C’est un enjeu national : ça a été sous la présidence de Nicolas Sarkozy une injonction de l’Etat. Et cela continue de l’être aujourd’hui. En 2013, Manuel Valls a imposé que le fond de l’Etat reste stable.
Car :
- C’est un enjeu local, Comment est perçue la vidéosurveillance pour le moment ? Une partie de la population est en demande, celle en particulier qui ressent le plus le sentiment d’insécurité, qui n’est pas forcement liée à l’expérience réelle de l’insécurité. Cette population se dit rassurée (personnes âgées, commerçants de centre ville). Une autre partie de la population y est indifférente. Aussi, dans les villes où la vidéosurveillance est mise en place, les élus ne rencontrent pas de résistance et s’en servent activement auprès des électeurs.
C’est exactement ce qu’il se passe à Saint-Quentin.
Concrètement, la vidéosurveillance à Saint-Quentin, c’est :
- Un budget de plus de 4 millions d’euros d’argent public dépensés depuis 2009 (estimation basse – matériel, réparation, local, personnel)
- Des dotations qui émanent l’Etat pour son installation tandis que l’on fait des coupes sombres dans les effectifs de la Police Nationale (2002 : 150 000 policiers en France, 2010 : 144 000, et à Saint-Quentin : c’est 18% de policiers en moins entre 2002 et 2011[1]. Vous a-t-on entendu sur le sujet ? Non. Tout comme pour la casse de la Protection Juridique de la Jeunesse, de l’éducation nationale. On n’éduque plus, on réprime.
- Du personnel qui est censé visionner ce que filment près d’une centaine caméras, alors qu’ils n’ont que 20 écrans à leur disposition.
- Du personnel, humainement incapable de se concentrer des heures durant sur ces écrans.
- Des caméras que personne ne visionne après 1h du matin en semaine.
Cela n’a pas de sens.
La vidéosurveillance, c’est aussi :
- Une délinquance qui se déplace hors du champ des caméras (l’effet plumeau)
- Un effet dissuasif qui reste nul. Cela n’a pas de sens ! La délinquance, un coup ça monte, un coup ça baisse. Globalement, comme l’an dernier la délinquance générale baisse. Tant mieux. Mais comme l’an dernier, il faut s’intéresser à ce qui est potentiellement du ressort de la vidéosurveillance.
L’atteinte aux biens baisse légèrement[2] : -0.36% (2211 cas en 2013 contre 2219 en 2012, avec un taux d’élucidation de 17%)
L’atteinte volontaire à l’intégrité physique augmente : +3,4%[3]
Le trafic de stupéfiant, en hausse !
Au final, ce qui est potentiellement du ressort de la vidéosurveillance, l’atteinte aux biens et l’atteinte aux personnes restent en cumulé stable alors que ce qui fait une fois de plus baisser la statistique de la délinquance générale, ce sont les infractions économiques et financières, qui n’ont aucun lien avec la vidéosurveillance !
Je ne suis pas le seul à pointer la quasi nullité des effets de la vidéosurveillance sur la délinquance. La Cour de comptes pointe elle aussi « des modalités contestables d’installation et d’exploitation ». Elle estime qu’ “aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée“[4]
Et c’est bien ce que je demande depuis 5 ans, ce sont des preuves par le biais d’une véritable étude scientifique à Saint-Quentin. Cette étude, vous la refusez systématiquement et allez me faire du sensationnel en listant un certain nombre de faits divers que la vidéosurveillance aura filmé. Sauf qu’il y a une différence majeure entre des faits divers, aussi dramatiques soient-ils et une étude scientifique, par définition chiffrée pour être la plus objective possible. Des faits spectaculaires, ici comme ailleurs ils en existent. Mais un cas ne prouve pas l’intérêt de dépenser des millions d’euros d’argent public. L’étude scientifique a pour but de dépasser les faits divers, de dépasser le mythe technologique que vous entretenez.
Pourquoi la ville de Saint-Quentin ferait elle exception en matière d’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance ? Même la Grande-Bretagne, précurseur en la matière, en est revenue, Scotland Yard qualifiant l’expérience de « véritable fiasco »[5].
Dernier point, ce qui m’a fortement surpris ce matin en récupérant les données que vos services ont mis à ma disposition, ce que vous n’aviez pas l’évolution de la délinquance par quartier (bien que les statistiques existent). Comment appréhendez-vous ce si coûteux système si vous n’avez rien en interne pour comparer les zones qui sont vidéosurveillées et celles qui ne le sont pas. C’est incroyable d’agir ainsi à l’aveugle !
Avec tout ce que coûte cette vidéosurveillance au contribuable, on pourrait en faire des choses nettement plus intéressantes pour le bien-être de la population et en termes de prévention. A Saint-Quentin, ce choix pourrait représenter des emplois municipaux de proximité (que ce soit des gardiens d’immeubles, des éducateurs de rue, des agents de médiation), en mesure de réguler les conflits de la vie quotidienne de manière autrement plus efficace. Une présence humaine de la part de personnes qui connaissent le terrain et la population.
Tout en laissant à la Police Nationale ce qui entre dans ses prérogatives, les crimes et délits.
Vous l’aurez compris, ce que je préconise, c’est une autre utilisation de l’argent public, sans escroquer la population sur le sentiment d’insécurité !
Annexe :
- critères méthodologiques pour étudier la vidéosurveillance (Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS)
- Se restreindre à quelques délits bien précis.
- Choisir des « morceaux de ville » (l’analyse de l’impact ne peut être basé sur les individus mais sur des territoires, similaires, qu’il faut comparer avec l’utilisation u non de la VS)
- Contrôler les fluctuations générales (la délinquance est toujours sujette à des fluctuations contextuelles)
- Comparer des zones témoins (avant et après l’installation de la VS, avec un recul d’au moins deux ans dans chaque cas ; tout en la comparant avec des zones sans VS. Mais attention aux déplacements de la délinquance).
- Tenir compte des effets concurrents (comme le fait que des zones soient éclairées, ce qui rend plus difficile le passage à l’acte, et n’est pas forcement le fruit de la VS)
[1] Source Police Nationale : 2002 environ 151, 2007 : 138, 2011 : 124 fonctionnaires en poste
[2] 2211 cas en 2013 contre 2219 en 2012, source Direction Départementale de la Sécurité Publique de l’Aisne.
[3] 2012 : 736, 2013 : 761, source Direction Départementale de la Sécurité Publique de l’Aisne.
[4] Source : Cour des Comptes , novembre 2010 http://www.ccomptes.fr/index.php/content/download/37262/603805/version/2/file/PAR201023.pdf
[5] http://www.dailymail.co.uk/news/article-564240/Billions-spent-CCTV-failed-cut-crime-led-utter-fiasco-says-Scotland-Yard-surveillance-chief.html
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