Analyse sur l’école par notre camarade Vincent DUCHE, ancien secrétaire départemental de la FSU
Membre du comité de soutien des candidats PCF aux législatives, Circonscrption de Saint-Quentin, Corinne BECOURT et Olivier TOURNAY
Une école impossible ?
L’école, longtemps considérée comme le « pré-carré » de la République, et donc relativement intouchable, fait aujourd’hui l’objet d’une remise en cause de la part de nos dirigeants qui la trouvent trop coûteuse et peu efficace au vu des évaluations réalisées au niveau de l’OCDE et autres enquêtes internationales.
Pour y remédier, il suffirait de lui appliquer les règles de management en vigueur dans les entreprises privées tout en lui accordant
davantage d’autonomie quitte à ce qu’elle doive s’assurer elle-même d’une partie de ses moyens de fonctionnement comme en témoigne la récente réforme des universités.
Les personnels, dans cette perspective libérale, pourraient être recrutés « à la carte » et si M. Sarkozy prévoit d’argumenter leurs
salaires, c’est dans l’attente qu’ils travaillent plus et mieux, ce qui en dit long sur l’estime qu’il leur porte…
Parallèlement, l’abandon progressif de la carte scolaire tend à « clientéliser » le public. Tandis que certains établissements se marginalisent, d’autres se réclamant de leur taux de réussite, affichent « complet », la concurrence fait rage. L’école est devenue un marché
avec ses cotations.
Mais l’école est également la cible d’une certaine catégorie d’usagers, qui, parce qu’ils sont rompus aux exigences de la compétition
sociale, lui reprochent son manque de transparence, nouveau mythe au travers duquel se donne à voir la gouvernance appelée à se substituer au service public.
C’est au nom de cette transparence que des parents, en consommateurs avertis, interviennent à tout bout de bout dans la vie scolaire
n’hésitant pas, le cas échéant, à exercer des pressions sur les enseignants, sur l’institution elle-même. Quant aux autres, ceux que la compétition a laissé au bord du chemin, ils se contentent le plus souvent de déplorer que leur fille, leur fils, n’aiment pas davantage l’école et s’étonnent à peine qu’ils se retrouvent, au bout du compte, sur le carreau, sans le moindre diplôme.
Voilà comment on passe de la transparence à l’invisibilité quasi-totale d’une frange de la population.
Stigmatisation
Sans prétendre à l’exhaustivité, il est difficile d’ignorer les manifestations de violence qui se produisent à l’école. Leur exploitation par les médias relayés par les nostalgiques de l’ordre contribue à la « mauvaise image » de l’enseignement public, ajouté au discrédit qui frappe les quartiers populaires. Or, chacun sait que la violence se concentre là où il y a de la misère nous devons nous étonner que là, justement, on n’en veuille pas davantage à l’école d’avoir laisser entendre que tout était possible, que les déterminismes sociaux pouvaient être surmontés par l’application du principe de l’égalité des chances pour, finalement, trahir les espérances que ces discours avaient fait naître. Violence symbolique qui, pour le coup, incombe à l’institution.
Sanctuarisation
Plutôt que d’interroger cette violence et faute de pouvoir l’enrayer, ce qu’il reste de républicains, de gauche et de droite, se mobilise
pour protéger l’école, réclame sa sanctuarisation.
Le recours au sacré, étymologiquement la sainteté du lieu, confère une légitimité intemporelle à la politique sécuritaire du moment.
En effet, la défense des frontières concerne aussi bien le sol national, comme l’atteste le traitement de l’immigration clandestine que la
prétendue préservation des espaces institutionnels que sont le tribunal, l’hôpital, l’école.
Sauf qu’à l’école, peut-être plus qu’ailleurs, la frontière apparaît de plus en plus poreuse pour ne pas dire factice. Les problèmes internes
et les difficultés du dehors participent du même malaise et tendent à ne faire qu’un. Et pour en revenir à la clandestinité, il semble bien que celle-ci soit également partagée entre ceux « qui n’ont pas leur place à l’école » et les représentants de l’institution dont le discours passe pour de moins en moins audible.
Chambre d’écho de la rumeur du monde, terminaison nerveuse d’un tissu social déchiré, l’école n’a plus de lieu parce que les conditions
pour qu’elle ait lieu ne sont plus réunies.
La fin d’un rêve
Il s’est trouvé pourtant, depuis Freynet jusqu’aux années 70-80, des esprits novateurs, des courants pédagogiques puissants portés par
les syndicats, soutenus par les partis de gauche pour imaginer une autre école.
Ils voulaient eux aussi, à leur manière, sanctuariser l’école mais dans le but de soustraire les enfants aux influences néfastes
d’une société basée sur le profit, la cupidité, l’égoïsme ; de parer aux dérives d’un capitalisme de plus en plus sauvage.
Ainsi conçue, l’école deviendrait le creuset de solidarités nouvelles, d’une citoyenneté en actes à travers lesquelles chacun trouverait
les moyens de son épanouissement.
C’est la grande époque de l’éducation populaire dont l’action émancipatrice devait permettre au plus grand nombre non seulement de
se faire une place dans le monde du travail (on ne disait pas encore« marché ») mais aussi de contribuer à la construction d’une société
plus juste, plus humaine.
L’école est pensée comme le laboratoire du futur. A cette utopie ont adhéré au moins deux générations d’enseignants.
Mal défendu par les pouvoirs publics –on comprendra aisément pourquoi- mais surtout confronté à de violentes contradictions résultants des évolutions de la société d’une part, aux bouleversements historiques survenus dans la même période d’autre part ; en but à l’impasse
théorique constituée par l’opposition du dehors et du dedans, le rêve s’est effondré avec son lot de désarroi, particulièrement sensible chez les enseignants dont on a dit qu’ils avaient perdu la foi.
Décidément, l’école, dans l’imaginaire républicain, a partie liée avec le sacré…
En attendant…
En période de crise, quand tout souffre alentour et menace de déborder, on aimerait voir l’école opposer une résistance, offrir un dernier
refuge à l’espoir.
Mais le fait est là : quand les rouages économiques et sociaux se grippent, l’école peine à remplir ses fonctions.
La nécessité que se sont imposés les états européens de réduire les dépenses publiques ne risque-t-elle pas de conduire à un service minimum d’éducation ?
Dès lors, l’école capitaliste, victime des contradictions du système, sera non seulement amenée à sacrifier un nombre croissant d’enfants
issus des milieux populaires mais ne pourra que difficilement assurer le renouvellement de ses élites, hypothéquant de ce fait toute chance de développement culturel et économique durable.
L’absence d’un véritable projet de société, à plus forte raison la volonté largement partagée dans l’opinion de promouvoir un monde alternatif qui affirme clairement le primat de l’homme sur l’économie condamne les défenseurs de l’école au champ pragmatique (tant il est vrai que le pragmatisme occupe aujourd’hui tout l’espace laissé vacant par les idéologies).
Tout au plus peut-on espérer d’autres choix budgétaires qui accorderaient davantage de moyens à l’école, des maîtres mieux formés ; des partenariats dynamisants, une plus grande ouverture sur la recherche et la création. Autant de mesures susceptibles de renforcer la technicité, la performativité de l’école mais qui ne sauraient remettre en cause ses finalités, avant tout utilitaristes.
Avant toute autre, la question qui se pose est de savoir dans quel monde nous voulons vivre.
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