Lénine et l’économie marxiste
Prabhat Patnaik, économiste indien
Article paru dans People’s Democracy, hebdomadaire du PC d’Inde (Marxiste) -Traduction JC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Toutes les contributions théoriques de Lénine à l’économie marxiste étaient conçues comme des interventions dans la lutte pour une pratique révolutionnaire correcte; ce n’étaient pas des traités d’économie marxiste. Ses contributions couvrent de nombreux domaines d’analyse, mais sont toutes comprises dans une même perspective qui était celle de Lénine, précisément sa vision de la révolution comme un projet concret. Cela nécessitait de dessiner une feuille de route entre « le ici et maintenant » et la révolution; une analyse des rapports sociaux entre le prolétariat et les autres classes; et aussi la perception de la révolution comme un processus qui se déroule en plusieurs étapes. La vision de la révolution comme un projet concret est à la base de la théorisation par Lénine de la révolution dans une société « arriérée » comme la Russie. Plus tard, cela lui a aussi permis, sur la base de son analyse de l’impérialisme, de théoriser un processus révolutionnaire mondial (qui disait-il, pendant la Première Guerre Mondiale, est désormais à l’ordre du jour de l’histoire), en unifiant les deux grands courants révolutionnaires du XXème siècle: le courant de la révolution prolétarienne dans les pays avancés, et le courant de la libération nationale (ou de la révolution démocratique) dans les pays opprimés et « arriérés ».
L’œuvre théorique de Marx, en affirmant que le développement du capitalisme a créé les conditions pour son propre dépassement révolutionnaire par le socialisme, avait clairement envisagé que cette révolution se déroulerait dans le monde capitaliste avancé. Dans leurs écrits sur le colonialisme, Marx et Engels avaient anticipé la possibilité d’une révolution anti-coloniale dans des pays comme l’Inde, mais n’avaient pas étudié le rapport entre ces révolutions à la périphérie et la révolution socialiste. A la fin de sa vie, Marx a commencé à s’intéresser à la Russie, et il est tombé d’accord avec Vera Zasulich qu’une transition directe était possible du système de la communauté villageoise Russe (mir) au socialisme, mais seulement si le socialisme triomphait en Europe pour faciliter ce processus.
Lénine, tout en insistant également sur la centralité de la révolution socialiste Européenne, a envisagé un processus révolutionnaire mondial interdépendant où même les pays les moins développés pourraient progresser par étapes successives vers le socialisme, aidés par la révolution socialiste Européenne, peu importe où la révolution aurait lieu en premier (la « chaîne » par laquelle l’impérialisme capitaliste a attaché le monde, disait-il, pourrait se briser en « son maillon faible »). La nature de classe exacte, les étapes et les objectifs de la révolution dans chaque pays, et la manière dont on pourrait progresser sur cette voie, doivent être élaborés, même dans les pays économiquement sous-développés.
Pour la Russie, Lénine croyait que les communes villageoises s’étaient désintégrées, ouvrant la voie au développement du capitalisme, de sorte que la prévision de Zasulich, d’une transition directe du mir au socialisme avait perdu de sa pertinence. Le développement du capitalisme était fulgurant en Russie, ce qui a fait émerger la classe ouvrière en tant que principale force révolutionnaire. La bourgeoisie russe, étant arrivé tard sur le devant de la scène, et menacée par la classe ouvrière, était incapable de réaliser la révolution démocratique, en particulier le renversement du Tsarisme et la soumission des États féodaux, comme la bourgeoisie l’a fait en France par exemple pendant la Révolution Française. Ainsi, la classe ouvrière avait à faire le travail de la bourgeoisie, mener la révolution démocratique, et progresser vers le socialisme, en ralliant à soi, à chaque étape, des couches importantes de la paysannerie (la composition des alliés paysans changeant d’une étape à l’autre).
Les écrits d’avant-guerre
La plupart des écrits économiques de Lénine, dans la période d’avant-guerre, visaient à étayer cette intuition. Depuis que les économistes Narodnik avaient argumenté que l’étroitesse du marché domestique en Russie, due à la pauvreté de son peuple, rendait le développement capitaliste impossible dans ce pays, Lénine, prenant comme acquis que le capitalisme se développait en Russie, à tel point que le mir avait été effectivement détruit, s’est engagé dans un débat théorique avec eux dans lequel il a utilisé les schémas de reproduction élargie de Marx.
Lénine a mis en avant trois thèses élémentaires:
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Premièrement, le marché était simplement l’excroissance du processus de division du travail dans l’économie. Quand nous passons d’une situation dans laquelle le ménage du paysan est engagé aussi dans une production de type artisanale, à une autre situation dans laquelle les paysans se spécialisent dans l’agriculture et un groupe séparé de producteurs se charge de la production artisanale, nous avons ipso facto l’émergence d’un marché
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Deuxièmement, il peut y avoir des déséquilibres dans la production entre ses différentes branches, certaines produisant plus que la demande, d’autres moins que la demande, mais de tels déséquilibres, donnant à lieu des crises, sont un élément inhérent au capitalisme. Le système avance par crises plutôt qu’il est mis devant l’impossibilité de se développer à cause d’elles
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Troisièmement, le déséquilibre entre production et consommation est la marque du capitalisme, qui maintient les travailleurs à des niveaux de vie catastrophiques. Utiliser cela pour avancer que le système ne peut pas se développer est infondé, car le but de la production en système capitaliste n’est pas de satisfaire les consommateurs. En fait, le secteur 1, produisant des moyens de production de différentes sortes, peut et va croître indépendamment du secteur 2, qui produit des moyens de consommation, en satisfaisant sa demande interne en capital qui continue d’augmenter à cause de la hausse de la composition organique du capital.
L’échange de Lénine sur la question du marché a été indubitablement influencé par Tugan Baranovski, qui avait affirmé que le capitalisme était caractérisé par la « production pour la production » et qui croyait dans le Loi de Say; mais penser que Lénine a simplement repris l’argument de Tugan est erroné. Il a lui-même noté que la dynamique du capitalisme qu’il esquissait, en mettant des chiffres sur les schémas de reproduction, ne visait pas à saisir la « réalité »: puisque les économistes Narodnik avaient avancé « l’impossibilité du capitalisme », il suffisait pour lui de montrer que son développement était « possible », ce qu’il a fait (il produisait, en d’autres termes, un « contre-exemple » aux Narodniks). On en déduit que la critique ultérieure de Oskar Lange, que l’ensemble du débat Marxiste sur la question du marché au début du siècle était biaisée par le fait qu’il ne faisait que mettre des nombres sur des schémas de reproduction, sans postuler un comportement d’investissement plausible, et donc que cela ne prouvait rien, ne s’applique pas en fait à Lénine qui était seulement intéressé par la réfutation de l’argument Narodnik sur l’impossibilité du capitalisme. Il y est arrivé, et dans son analyse il a aussi prêté attention, comme Tugan-Baranovski, au fait que le capitalisme pouvait croître en trouvant des marchés pour lui-même à travers une augmentation dans la composition organique du capital (afin que le secteur 1 puisse produire largement pour lui-même) même si la masse salariale, et donc le secteur 2 stagnait. (Kalecki a plus tard avancé l’idée que l’État pouvait jouer le même rôle que l’augmentation dans le rapport C/V en fournissant un marché au secteur 1).
Le fait que le capitalisme se soit développé en Russie malgré le fait que les Narodniks aient insisté sur son développement impossible a été démontré par Lénine dans son étude classique Le Développement du Capitalisme en Russie. Les conséquences de cela pour la Révolution Russe à venir ont été explicitées dans les Deux Tactiques de la Social-Démocratie dans la Révolution Démocratique, ou il affirmait que « la bourgeoisie est incapable de mener la révolution démocratique jusqu’à son terme, tandis que la paysannerie est capable de le faire » (sous la direction du prolétariat). Ainsi, « le prolétariat doit accomplir la révolution socialiste, se ralliant l’ensemble des couches semi-prolétariennes, afin d’écraser par la force la résistance de la bourgeoisie et de canaliser l’inconstance de la paysannerie et de la petite bourgeoisie. »
La distinction entre les différentes classes paysannes, et le rôle qu’elles jouent dans le processus de transformation paysanne occupait une place centrale dans cette conception. Dans les sociétés qui sont en retard sur le plan du développement capitaliste, la bourgeoisie, bien qu’incapable de briser les états féodaux, comme la réalisation de la révolution démocratique le nécessitait, pouvait passer un pacte avec les seigneurs féodaux de jadis pour développer ce que Lénine appelait un « capitalisme semi-féodal » dont le « capitalisme des junkers » en Allemagne était un exemple; par opposition à un « capitalisme agraire », qui représentait un développement capitaliste reposant sur une base sociale plus large, plus vigoureux, et représentant une forme moins oppressive de développement capitaliste, qui pourrait aboutir sur le démantèlement des états féodaux. L’incapacité de la bourgeoisie à poursuivre la voie du « capitalisme agraire » signifiait que les aspirations démocratiques de la paysannerie pouvaient seulement être satisfaites sous la direction du prolétariat.
Lénine, à ce moment-là, avait défendu la « nationalisation de la terre » comme la suite nécessaire au démantèlement de la propriété féodale, qui libérerait les producteurs du fardeau de la « rente foncière absolue », et donc encouragerait l’accumulation; c’est seulement à l’époque de la Révolution Bolchévique qu’il a changé de position pour défendre l’idée que le démantèlement des états féodaux devait mener à la distribution de la terre aux paysans, quelque chose que les Socialistes-Révolutionnaires de Gauche, héritiers de la tradition Narodnik, demandaient ardemment.
La question des différenciations de classe au sein de la paysannerie, également centrale dans la conception de la révolution en deux temps, a occupé fortement sa pensée, puisque la pertinence de cette conception allait bien au-delà de la Russie, et qu’elle était la base de l’analyse des sociétés « arriérées » par le Komintern. Dans ses thèses préliminaires au Second Congrès du Komintern, Lénine a mis en avant un critère basé sur l’emploi de main d’œuvre pour distinguer entre elles les différentes classes paysannes, ce qui a formé la base de toutes les analyses suivantes sur la question, y compris celle endossée par Mao Zedong.
L’Impérialisme et la guerre
Lénine voyait la première guerre mondiale comme le chant du cygne du capitalisme, qui annonçait que la révolution mondiale était désormais à l’ordre du jour historique. La fameuse remarque de Marx selon laquelle à un certain stade du développement d’un mode de production, les rapports de propriété le caractérisant « entravent » le développement des forces productives, a naturellement soulevé la question: comment savons-nous quand ce stade est atteint? Ou plus généralement, quand pouvons-nous dire d’un mode de production qu’il est obsolète? La tradition « révisionniste » dans la social-démocratie allemande avait affirmé que cette obsolescence se manifesterait par elle-même à travers une tendance à « l’effondrement » du système; et puisque il n’y avait pas de signes d’un tel « effondrement », la classe ouvrière devait se réconcilier avec le fait que le capitalisme allait continuer, qu’elle devrait lutter seulement pour améliorer son sort économique dans le système, et que le Marxisme devait par conséquent être « révisé ». La tradition révolutionnaire en Allemagne incarnée par Rosa Luxembourg leur opposait que le système mènerait inévitablement à « son effondrement »; mais dans ce débat elle acceptait la problématique des révisionnistes selon laquelle la preuve de l’obsolescence du système résidait dans sa tendance à se diriger vers son « effondrement ».
Lénine a rompu avec cette problématique et a vu la guerre comme une incarnation de la nature « moribonde » du capitalisme. Elle a offert aux travailleurs une alternative difficile: soit ils tuaient leurs camarades travailleurs dans les tranchées d’en face, soit ils retournaient leurs fusils contre leurs exploiteurs capitalistes (d’où le slogan Bolchévique « transformer la guerre impérialiste en guerre civile »). Il a mis au point sa théorie de l’impérialisme à la fois pour expliquer l’origine de la guerre et pour déterminer la nature moribonde du capitalisme dont la guerre était une manifestation.
La théorie de l’impérialisme de Lénine est souvent mal comprise. L’erreur d’interprétation la plus commune est celle qui attribue à Lénine une position selon laquelle le capitalisme souffrant d’un problème de « sous-consommation », l’impérialisme serait un moyen de contrer cette tendance. C’est à cause de cette interprétation que plusieurs auteurs ont plus tard affirmé que la politique Keynésienne de l’après-guerre, de stimulation de la demande, avait rendu la théorie Léniniste de l’impérialisme obsolète. Mais Lénine, bien qu’ayant une dette intellectuelle envers Hobson, ne considérait pas l’impérialisme du point de vue de la « sous-consommation » comme ce dernier. En fait, la théorie de Lénine n’était pas du tout une théorie « fonctionnelle » de l’impérialisme, c-a-d que l’impérialisme n’était pas perçu comme un moyen de trouver un antidote à une quelconque tendance inhérente au capitalisme.
Pour Lénine, l’impérialisme c’est le capitalisme monopoliste. Le processus de centralisation du capital mène à l’émergence de monopoles dans les sphères de la production et de la finance, qui se renforcent mutuellement jusqu’au moment où une petite oligarchie financière, à cheval sur les sphères de la finance et de l’industrie, a à sa disposition un « capital financier » immense. Ces oligarchies sont basées dans un cadre national et sont intégrées à leurs États-nations, créant une « union personnelle » entre ceux qui dominent l’industrie, la finance, et l’État dans chacun des pays capitalistes avancés. La concurrence qui a toujours existé entre capitalistes, prend désormais la forme de rivalités pour l’acquisition de « territoires économiques » entre ces puissantes oligarchies financières, chacune soutenue par leur État-nation. L’acquisition de « territoires économiques » n’est pas seulement un moyen de s’assurer matériellement des marchés, des sources de matières premières ou des sphères exclusives pour des investissements financiers; mais surtout un moyen d’exclure potentiellement leurs rivaux de ces territoires. Et quand la recherche de « territoires économiques » emmène la division du monde entier en territoires captifs, seule la re-division reste possible, ce qui peut seulement se dérouler par le déclenchement de guerres. L’ère de l’impérialisme, c’est-à-dire du capitalisme monopoliste, est caractérisée par le déclenchement de guerres.
Le concept de capital financier chez Lénine a été critiqué à de maintes reprises: sur une confusion potentielle entre « stocks » et « flux »; en ce sens qu’il oscille entre la notion d’Hobson de « grande finance » (caractéristique de la Grande-Bretagne où les intérêts financiers et industriels étaient relativement distincts) et la notion d’Hilferding de « capital financier » ou de « capital contrôlé par les banques et employé dans l’industrie » (caractéristique de l’Allemagne où les intérêts industriels et financiers étaient complètement confondus). Ces critiques passent toutefois à côté de l’essentiel de la théorie de Lénine. La distinction entre « stocks » et « flux » a seulement du sens dans une perspective d’analyse du capitalisme comme souffrant d’une « sous-consommation » chronique, quand les exportations du capital – dans le sens d’une exportation de surplus financée par l’extension du crédit – peuvent être un moyen de gonfler la demande agrégée. Pour résumer, les « flux » ont un sens seulement du point de vue de la demande agrégée; les exportations de capital comme le reflet d’un choix d’investissement, sans exportation de plus-value corrélée, n’affectent pas la demande agrégée. Une fois que nous détachons Lénine de l’analyse basée sur la « sous-consommation », la critique selon laquelle il ne distinguait pas les stocks et les flux n’a plus lieu d’être. Dans la même idée, puisque Lénine cherchait à caractériser une phase globale du capitalisme, synthétisant toutes les particularités de chaque pays, son utilisation de concepts vastes et élastiques peut difficilement être critiquable.
Sa théorie, quoiqu’extrêmement simple dans sa conception économique, et presque irréprochable dans son contexte, était suffisamment riche pour saisir l’étendue des rapports de domination que l’impérialisme entraînait. La tentative de se partager un monde déjà partagé a pris des formes complexes (si on laisse de côté la guerre): des colonies, des semi-colonies, qui remettent en cause la souveraineté de pays nominalement indépendants, jusqu’à obtenir l’hégémonie même sur des puissances coloniales (apparemment hégémoniques) comme le Portugal. La théorie de Lénine a ouvert le champ des relations internationales à l’analyse marxiste.
Lénine a tenté en 1908 d’expliquer le révisionnisme dans le mouvement ouvrier Européen, en suggérant que l’afflux de petits producteurs, dépossédés par le mécanisme de la concurrence capitaliste, dans les rangs du prolétariat, a emmené l’importation d’une idéologie étrangère qui a constitué la base du révisionnisme. Mais dans l’Impérialisme, emboîtant le pas à certains remarques d’Engels, il expliquait le révisionnisme comme étant l’expression d’une fraction de la classe ouvrière, et en particulier des directions syndicales, qui se laisse acheter par les « sur profits » engrangés par les monopoles. La position de Lénine doit être distinguée ici des arguments ultérieurs basés sur « l’échange inégal », qui sont allés bien plus loin en prétendant que le prolétariat des pays avancés faisait partie intégrante du camp des exploiteurs: il n’a pas seulement restreint les bénéficiaires de l’exploitation capitaliste à une mince couche sociale, mais a également lié ce phènomène aux monopoles. Les théories de l’échange inégal qui n’évoquent pas les monopoles sont infondées: elles manquent de pertinence si la métropole et la périphérie ne sont pas spécialisées dans certaines activités particulières, mais elles ne peuvent en tout cas pas expliquer une telle spécialisation sans passer par les monopoles. L’accent mis par Lénine sur les monopoles est une approche bien plus utile sur cette question, même si on considère que le cercle des bénéficiaires de l’impérialisme s’est étendu au-delà de la mince couche sociale initiale.
Dans l’Impérialisme, Lénine a critiqué la thèse de Karl Kautsky selon laquelle une exploitation conjointe du monde serait possible à travers des accords pacifiques signés entre le capital financier uni au niveau international, ce qu’il appelait « l’ultra-impérialisme ». Son argument était qu’une telle division négociée du monde entre les différents capitaux financiers, en admettant qu’elle ait lieu, ne ferait que refléter leurs forces relatives à ce moment précis; mais le développement inégal, inhérent au capitalisme, emmènerait nécessairement à une modification de ces forces relatives, ce qui donnerait lieu à des conflits qui éclateraient en guerres. « L’ultra-impérialisme » pourrait seulement être un interlude, une trêve, entre deux périodes de guerres. Certains ont avancé l’idée selon laquelle les événements de l’après-guerre confirmeraient plutôt la validité de la conception de Kautsky que celle de Lénine, du fait que les rivalités inter-impérialistes sont devenus moins intenses avec la Pax Americana.
Deux éléments doivent être notés ici:
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premièrement, nous avons ces derniers temps non pas une unité des différents capitaux financiers basés à l’échelle nationale et soutenus par leurs États-nations respectifs, comme Kautsky l’avait prédit, mais un nouveau capital financier international, et donc un nouvel impérialisme, qui est le produit d’un nouveau processus de centralisation du capital et de suppression des restrictions sur les flux de capitaux trans-frontaliers, c-a-d le processus de la mondialisation de la finance. Ce que nous avons aujourd’hui, pour résumer, est un nouveau phénomène qui dépasse les circonstances rencontrées par Kautsky et Lénine
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deuxièmement, l’émergence d’un capital financier international, tandis qu’il restreint la possibilité de guerres entre puissances impérialistes, n’a pas du tout empêché le déclenchement de guerres. La typologie des guerres en question change, mais les guerres sont toujours là, dans toute leur brutalité. Les circonstances actuelles sont différentes de celles de l’époque de Lénine, mais son œuvre reste un point de référence dans notre analyse de cette nouvelle situation.
Écrits post-révolutionnaires
Les volumineux écrits post-révolutionnaires de Lénine sont d’une grande importance et nécessiteraient un traitement séparé, plus exhaustif. Après la fin de la Guerre Civile, la période du « Communisme de guerre » a laissé la place à la « Nouvelle Politique Économique », qui a rendu possible l’émergence de tendances capitalistes qui devaient être maintenues sous étroite surveillance par l’État prolétarien, qui devait lui-même conserver le contrôle des principaux leviers de commande de l’économie. L’accent mis sur l’État centralisé comme un rempart contre la restauration capitaliste a été perçu par beaucoup de monde comme contenant les germes du déclin ultérieur du système. Lénine a été en conséquence vu comme étant intentionnellement à l’origine du système centralisé qui a été parachevé à l’époque de Staline. Mais c’est une interprétation erronée des œuvres de Lénine, qui n’a jamais abandonné sa vision libertaire du socialisme, même si l’appareil d’État centralisé devait être construit pour protéger une Union Soviétique assiégée après que la perspective d’une révolution Allemande se soit envolée et que Lénine ait commencé a regardé à l’est du côté de la Chine et de l’Inde.
Cette vision libertaire, exposée dans L’État et la Révolution écrit en Août 1917, qui envisage un processus de dépérissement de l’État prolétarien dès sa formation, a été réaffirmée en Octobre 1917 avec cette remarque: « nous pouvons immédiatement mettre en branle un appareil d’État consistant en des dizaines, si ce n’est des vingtaines de millions de personnes ». Même dans les moments critiques, après que les circonstances l’aient contraint à adopter un appareil d’État centralisé, ses interventions, comme celles contre la militarisation des syndicats, découlent de sa vision libertaire. Et même après que la démocratie des Soviets ait cessé d’exister, Lénine était préoccupé par le fait que le Parti ne devienne pas seulement une force bureaucratique centralisée, d’où son « dernier combat », visant à empêcher la bureaucratisation du Parti. Il a vu avec une grande précision et une certaine prescience que la poursuite sur la voie du « centralisme démocratique » (le principe organisationnel du parti Léniniste) dans une société qui émergeait de l’autocratie féodale pouvait aisément dégénérer en une forme de centralisme bureaucratique. L’image d’un Lénine glorifiant le centralisme contre les espérances libertaires du socialisme est donc fausse.
Site de People’s Democracy, hebdomadaire du Parti Communiste d’Inde (Marxiste): http://pd.cpim.org/
Cette crise n’est pas une crise financière mais une crise du capitalisme, de Domenico Moro
dans le premier numéro de l’année 2009 de Marxismo Oggi, revue théorique italienne
Traduction JC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
1 – SURPRODUCTION ET CRISE
D’après la majorité des médias, des économistes et des gouvernements, la crise actuelle est une crise financière, qui se serait par la suite étendue à l’économie « réelle ». Avec ce type d’analyse on ne saisit, toutefois, que la forme sous laquelle la crise s’est manifestée. On en ignore cependant le contenu, qui réside dans les mécanismes d’accumulation du capital. En effet, les crises sont un révélateur qui fait apparaître les contradictions du mode de production actuel. Parmi ces contradictions, la principale est celle entre production et marché. L’objectif des entreprises est de produire pour réaliser des profits et, à cette fin, ils réduisent les coûts des marchandises de façon à augmenter leurs marges, c’est-à-dire la différence entre les coûts de production et les prix. La réduction des coûts de production passe par la réalisation d’économies d’échelle, c’est-à-dire par la production de masse de marchandises toujours plus importantes dans le même temps de travail. C’est en vue de cet objectif que des technologies et des machines toujours plus modernes sont introduites à la place des travailleurs, et que les rythmes et l’intensité de travail sont augmentés. Dans l’absolu, il s’agit de quelque chose de positif, puisque le développement de la productivité met à disposition des travailleurs une masse de marchandises plus importante dans une période de temps plus réduite. Le problème, c’est que la production capitaliste n’est pas dirigée vers les simples consommateurs mais vers les consommateurs en mesure de payer un prix adéquat en vue d’atteindre le profit espéré, c’est-à-dire vers un marché. C’est là qu’est tout le problème: la production capitaliste est une production qui s’accroît sans se soucier du marché, c’est-à-dire de la capacité à acheter les marchandises produites. De plus, étant donné que le profit est dû au travail non payé des travailleurs, la réduction relative de ces derniers par rapport au capital global employé provoque une chute du taux de profit, qu’on cherche à compenser à travers l’augmentation de l’exploitation et en produisant ensuite un nombre plus grand de marchandises. Tout cela implique que la production tend toujours à excéder les capacités d’absorption du marché, déterminant un déséquilibre permanent entre les capacités productives et l’étroitesse du marché. Une étroitesse qui est justement accentuée par le mécanisme qui remplace la force de travail par des machines et qui, par la suite, provoque l’expulsion des travailleurs du processus de production. Selon une étude de la Banque des règlements internationaux, des années 1980 à aujourd’hui, dans tous les principaux pays industrialisés, il y a eu un déplacement dans le partage du PIB des salaires vers les profits. En Italie, la part qui va aux profits est passée de 23,1% en 1993 à 31,3% en 2005. Il s’agit de 8% du PIB, équivalente à 120 milliards d’euro, soit 7 000 euros que chacun des 17 millions de salariés italiens perd en salaire et que le capital gagne en profit. Mais la chose la plus intéressante dans l’étude de la BRI, c’est que la cause de ce phénomène est localisée, non dans la concurrence des travailleurs des pays « en voie de développement », mais dans l’introduction de nouvelles technologies qui, chassant des travailleurs et détruisant l’organisation du travail, réduit les capacités de résistance et de négociation des travailleurs. De cette manière, on en est arrivé à la perte de pouvoir d’achat pour les salariés et les travailleurs se sont trouvés à contraints à travailler plus avec comme effet de réduire encore plus la demande de force de travail et d’aggraver le chômage. Par ailleurs, les nouvelles technologies ayant une forte composante informatique, qui devient obsolète plus rapidement, les restructurations sont devenues plus fréquentes. Donc, tandis que d’une part on multiplie l’offre de marchandises sur le marché, d’autre part on réduit la demande, qui en majeure partie est constituée par les travailleurs salariés, ou, dans le meilleur des cas, on ne permet pas à la demande d’augmenter dans les mêmes proportions que l’offre. Du reste, dans l’anarchie de la concurrence, quoique oligopolistique, qui règne dans le mode de production capitaliste, tout capitaliste individuellement, pour battre ses concurrents, tend à réaliser des économies d’échelles toujours plus grandes et à réduire les salaires de ses travailleurs, en les traitant comme des coûts à réduire plutôt que comme des acheteurs potentiels. Se produit ainsi une tendance à la surproduction de marchandises qui, trouve ses racines dans la surproduction de capital sous la forme des moyens de production. Ce qu’il est important de comprendre, toutefois, c’est que la sur-capacité productive est telle dans le mode de production capitaliste, que l’on ne produit que quand on est sûr de réaliser un profit, et que la sur-production de marchandises se comprend dans les limites du marché capitaliste.
2 – LE CAS SYMPTOMATIQUE DE L’AUTOMOBILE
La crise ne marque pas une cassure dans le cours normal de l’économie, c’est la manière violente par laquelle le capital tente de résoudre ses contradictions. En effet, les crises ne voient pas seulement des milliards de capital fictif partir en fumée dans les krachs boursiers, mais provoquent aussi une destruction de capital réel à travers la perte de valeur des marchandises, qui s’accumulent invendues dans les dépôts ou sont vendues à perte (aux États-Unis on en est arrivé à vendre deux voitures pour le prix d’une), et des moyens de production, qui restent inactifs ou sous-utilisés. Les crises, ensuite, détruisent de la force de travail à travers les licenciements et, en provoquant la mort des entreprises les plus faibles et leur absorption de la part des plus fortes, aboutissent sur la concentration de la production entre les mains de capitalistes toujours moins nombreux. C’est seulement à ce prix que l’on crée les conditions pour que la production soit de nouveau profitable et puisse être relancée, reproduisant toutefois les conditions qui feront que la crise se répétera par la suite et sur une base plus large. Le cas de l’automobile est symptomatique. Il s’agit d’un secteur qui a toutes les caractéristiques typiques de la grande industrie: une grande concentration progressive, et une augmentation toujours plus forte de la composante technologique par rapport aux travailleurs employés. Un secteur dans lequel, selon les mots de l’administrateur délégué de Fiat, Marchionne, « la sur-capacité productive est un problème général ». Aux États-Unis, en effet, la production de 2009 correspondra seulement à 45% de la production potentielle, soit 5 millions d’auto en moins par rapport à 2007. Selon CSM Worldwide, l’utilisation des usines des douze premières entreprises mondiales, déjà descendue à 72,2% en 2008, baissera en 2009 jusqu’à 64,7%. Les conséquences seront lourdes même pour les entreprises leaders sur le marché, les allemandes et les japonais: en Allemagne on a licencié les travailleurs précaires (4500 chez Volkswagen), alors que le temps de travail hebdomadaire (et le salaire) a été réduit pour les deux-tiers des travailleurs stables de Volkswagen et en février et mars pour 26 000 travailleurs de la BMW, au Japon, de son côté, Nissan a planifié 20 000 licenciements. La situation est encore pire pour les entreprises américaines, parmi lesquelles GM et Chrysler qui seraient déjà en faillite sans les 14 milliards de dollars injectés par le gouvernement. GM, en particulier, prévoit la fermeture de quatre des vingt-deux usines états-uniennes et 31 000 licenciements. Pourtant tout cela se déroule à la fin d’un processus dans lequel les trois majors de Detroit ont augmenté leur productivité. Selon le rapport Harbour, les majors de Detroit ont réduit l’écart avec les usines japonaises en Amérique en terme de temps nécessaire à la production d’un véhicule en passant de 10,51 heures en 2003 à 3,5 heures en 2007. Du reste, la crise de 1929 a aussi été précédée par une période de forte augmentation de la productivité, tout comme elle a été déclenchée par un krach financier. En effet, ce fut justement dans les années 20, qu’avec le fordisme, a été introduite la chaîne de montage. A partir des années 80, le fordisme a été adapté, devenant le toyotisme, qui, en flexibilisant le processus de production, a tenté de résoudre la contradiction entre marché et production. Le résultat de tout cela, c’est que les véhicules invendus, seulement dans les usines américaines, ont atteint fin janvier 2009 les trois millions, l’équivalent de 116 jours de vente aux niveaux actuels. Cela prouve que, dans les limites des rapports de production capitalistes, pour résoudre la contradiction entre production et marché, aucune technique managériale n’est suffisante. Que prévoit-on pour répondre au problème de la sur-production? Le cas états-unien est encore une fois symptomatique. Au-delà des licenciements et de la semaine courte de 4 jours (working sharing), on prévoit un alignement de toutes les entreprises américaines sur les pires conditions salariales et sociales en vigueur dans les usines japonaises aux États-Unis. Ensuite, cette crise aussi, comme les autres et même plus, étant donné sa gravité, dévorera ses victimes et marquera le début d’une série de fusions-acquisitions à l’avenir. Toujours selon Marchionne, dans le marché mondial de l’automobile il y aurait de la place seulement pour cinq ou six producteurs qui pourraient arriver aux cinq millions de voitures produites (par an), indispensables pour réaliser les économies d’échelle minimales. Et c’est Fiat justement qui se distingue par son activité, s’agitant dans plusieurs directions, des joint ventures avec l’indien Tata, qui est entré aussi dans le capital de Fiat, à l’acquisition possible de la Chrysler, en passant par la fusion invoquée avec Peugeot. La crise donnera ensuite un coup de pouce à l’internationalisation de la production, pour réduire les coûts et se rapprocher des nouveaux marchés, porteur de débouchés potentiels. Déjà aujourd’hui, Ford et GM produisent aux États-Unis moins de 32% de leur production globale, tandis que Fiat, Renault, Volkswagen produisent dans leurs pays d’origine respectivement seulement 34,9%, 34,7% et 33,6% de leur production totale. Ceux qui paieront seront, quand même, toujours les travailleurs avec la perte de leur emploi et avec la réduction des salaires.
3 – LE LIEN ENTRE SUR-PRODUCTION ET FINANCE
Opposer dans un contexte capitaliste, l’économie « financière » et « réelle » n’a pas de sens et c’est se fourvoyer. L’énorme développement du crédit et des marchés financiers trouve son origine dans le succès de la grande industrie, qui a besoin de capitaux monétaires toujours plus grands à investir. La mondialisation de la concurrence, les fusions et les acquisitions, le gigantisme des entreprises, nécessaires pour réaliser des économies d’échelle toujours plus grandes, aboutit à l’augmentation continue de la demande de crédit et à l’accroissement de la taille des banques. Bien que les crises ne soient pas causées par le crédit et la finance, il existe un lien très étroit entre crise et crédit. Un tel lien se tient dans le fait que le crédit favorise et accélère la tendance à la sur-production de capital et de marchandises. Le crédit, en effet, permet à la production de s’accroître d’une manière qui ne serait autrement pas possible. Dans le même temps, les banques, en concentrant entre quelques mains l’épargne de la société et en la transformant en un investissement, font prendre un capital même une forme « sociale », favorisant la séparation entre la direction et la propriété. Se crée ainsi une production privée sans propriété privée et une nouvelle aristocratie financière et de top-manager, super-payée, indifférente aux limites du marché, et encline aux investissements très risqués, au parasitisme et à la spéculation. De cette manière, se développe la tendance aux monopoles et à la sur-production générale chronique. L’industrie actuelle se trouve depuis des décennies dans une situation de sur-production, à laquelle on a répondu en favorisant le crédit facile et donc l’endettement, tant du côté de l’offre, c’est-à-dire des entreprises, que du côté de la demande, c’est-à-dire des consommateurs/acheteurs. Pendant des années avec l’approbation des gouvernements américains, la FED a maintenu le coût de l’argent à des niveaux très bas, poussant les banques à prêter même aux agents potentiellement non-solvables. En particulier, on a incité à l’achat de maisons, car la propriété immobilière fournissait une garantie pour l’achat de biens de consommation comme l’automobile. On a accordé des prêts à presque tout le monde, et aussi à ceux qui n’avaient ni travail ni propriété, ce qu’on a appelé les prêts subprimes. La spirale de l’endettement s’est auto-alimentée, grâce à la libération des marchés financiers et à la suppression des barrières et des règles introduites après la crise de 1929, et les prêts ont été titrisés en titres – les fameux dérivés – vendues aux banques du monde entier. La spéculation s’est étendue à la titrisation des assurances sur les dérivés des prêts, les credit default swaps (CDS), qui ont atteint le chiffre astronomique de 45 000 milliards de dollars. De plus, d’autres formes d’incitation à l’endettement ont été introduites comme les cartes de crédit revolving. Au fond, la demande de biens de consommation a été dopée, fondant sur des bases en argile l’expansion économique consécutive à la crise de 2001. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’endettement des familles en 2007 avait atteint les 100% du PIB. Entre-temps les engagements financiers des banques avaient augmenté jusqu’à la démesure: les banques européennes pour chaque euro de capital en caisse avaient accordé 40 euros de prêts, les banques américaines encore plus. Tout cela ne pouvait pas duré et en effet cela n’est pas tenable. Quand la bulle immobilière a atteint son pic, en 2007, et qu’elle a éclaté, les habitations ont perdu jusqu’à 40% de leur valeur et leurs propriétaires ne sont plus arrivés à faire face à leurs prêts. Le système financier international s’est rendu compte qu’il avait dans le ventre des milliards de titres qui n’avaient pas plus de valeur qu’un bout de papier, auxquels s’ajoutait la masse des CDS, qui auraient pu l’emmener à son écroulement. De nombreuses banques, forcées d’inscrire les pertes dans leurs comptes, sont tombées en faillite, ont été achetées ou sauvées par l’État, et des centaines de milliards de capitalisation en bourse sont partis en fumée. En outre, l’incertitude sur la solvabilité des banques a mené à la paralysie du marché inter-bancaire et à la contraction du crédit, avec des conséquences dévastatrices pour les entreprises, déjà lourdement endettées et aux prises avec les nécessités de l’internationalisation, de la réorganisation de la production et du financement du crédit à la consommation.
4 – FAILLITE DU MARCHE ET INTERVENTION DE L’ETAT
La sur-production qui étrangle l’économie est désormais générale. En effet, selon la Banque mondiale, à la réduction, pour la première fois depuis 1945, du PIB mondial il faut ajouter la contraction du commerce mondial la plus importante des 80 derniers années, depuis celle de la grande Dépression des années 30. L’organisation internationale du travail prévoit entre 18 et 30 millions de chômeurs en plus, 50 dans les pires prévisions. La crise a ainsi démontré de manière patente la faillite des capacités régulatrices du marché. Significative a été la rapidité du coup de barre donné vers l’intervention de l’État, à partir justement des deux pays leader de la « révolution » néo-libérale, les États-Unis et la Grande-Bretagne, et l’ampleur de l’intervention, surtout en faveur du crédit. Aux États-Unis, le programme d’aide fédéral, le Tarp, a déjà utilisé 294,9 milliards de dollars, dont 250 milliards pour la recapitalisation des banques, sur une somme totale allouée de 700 milliards, et Obama projette déjà d’allouer une somme supplémentaire de 2 000 milliards. En Grande-Bretagne, l’État a acheté la Bearn Stearns, 60% de la Royal Bank of Scotland et 40% de Lloyds-Hbos, tandis que l’Allemagne, qui a déjà donné 90 milliards à Hypo et a acquis 25% de la Commerzbank, elle a approuvé une loi qui permet l’expropriation par l’État des banques en difficulté. Mais, étant donné que ces mesures ne suffisent pas à remettre en route le marché inter-bancaire ainsi que les prêts aux entreprises et aux familles, l’État a assumé directement le rôle de bailleurs de fonds, sans véritable espoir de retour sur investissement, des entreprises. Au Japon, l’État a sorti 13 milliards d’euros, grâce auxquels il entrera éventuellement dans le capital des entreprises. En particuliers, on a assisté à une course pour venir à la rescousse des producteurs nationales d’automobile, des 14 milliards de dollars donnés à GM et Chrysler aux 7 milliards d’euros accordés à Renault et PSA, dont une partie ira aux branches de ces entreprises qui financent les achats à crédit. Des choix qui tous, avec la réduction pratiquement à zéro des taux d’intérêts pratiqués par de nombreuses banques centrales comme la Fed, démontrent qu’on cherche la solution à la crise dans des directions déjà empruntées, et qui ont déjà mené à l’échec, comme l’endettement et le protectionnisme, redevenu tout à coup devenu à la mode avec le « achetez américain ». L’ensemble des ressources mises sur la table par les États-Unis atteint les 8 000 milliards de dollards, soit 54% de leur PIB. Si nous pensons que les États-Unis ont dépensé 3 600 milliards de dollars dans toute la Seconde guerre mondiale et, qu’en 1944, leur dépenses militaires atteignaient 36% du PIB., nous avons une idée de la partie qui se déroule. L’augmentation des dépenses étatiques fera exploser le déficit public, qui aux États-Unis dépassera cette année la barre des 10% et sera compris au Royaume-Uni entre 6 et 8%, tandis que l’Allemagne, la vertueuse, verra son déficit public à son maximum depuis 1945. La croissance gigantesque des dettes publiques, déjà creusées aux États-Unis par des décennies de subventions aux entreprises et de dépenses militaires, conduira à la hausse des impôts, tandis que l’augmentation des émissions de bons du Trésor, unique investissement refuge restant, a déjà conduit à la baisse des revenus pour des millions de petits épargnants. Dans le même temps, le prix des credit default swaps sur les bons publics a augmenté, signe des craintes du marché sur la solvabilité de nombreux états. Tandis que les États-Unis, grâce au dollar, tentent de continuer à décharger le financement de leur énorme dette sur l’étranger, de nombreux pays périphériques, surtout en Europe de l’est, pris dans les difficultés de la récession, risquent une banqueroute qui aurait des contre-coups très lourds sur les banques européennes et sur l’euro.
5 – CONCLUSION: PLANIFICATION ET REDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
Si l’échec du marché est désormais évident pour tous, moins évident est l’échec tout aussi grand de la propriété et de la production privée. En Italie, par exemple, nous assistons au paradoxe apparent de ceux qui, le patronat en tête, demandent et obtiennent l’intervention de l’État sous forme d’aides et continue à exiger la poursuite de la politique de privatisation, par exemple des services publics. En fait, c’est justement dans les moments de difficulté que le capital se réfugie le plus dans les rentes de monopole, en dehors de toute concurrence. Dans tous les pays, le préalable à toutes les aides publiques accordées, c’est que l’État, même dans le cas où celui-ci deviendrait majoritaire dans une banque ou dans une entreprise, reste rigoureusement en dehors de leur gestion, peut-être en achetant des actions sans aucun droit de vote. Déjà l’expansion du crédit avait mis à disposition du privé le capital social (l’épargne de la collectivité), faisant de la production privée une production sans propriété privée. Aujourd’hui que l’État finance les banques privées ou fournit directement aux entreprises le capital employé, la propriété prend encore plus un caractère social. S’accroît donc la contradiction entre le caractère toujours plus social de la production et de la propriété et l’appropriation privée du produit de cette production, qui se concentre entre des mains toujours moins nombreuses. Du reste, avec seulement cinq entreprises automobiles qui se partagent le marché mondial, comme le prévoit Marchionne, peut-on encore parler de propriété privée? Il s’agit d’une production qui en réalité s’est déjà presque socialisée. Nous avons plutôt une production privée sans propriété privée, et qui se sert de l’État comme d’un distributeur qui concentre le capital de toute la société. La crise ne se résout pas avec toutes ces aides aux entrepreneurs privés ou en injectant des masses d’argent dans le puits sans fond de l’insolvabilité de banques qui continuent à ne pas prêter d’argent. La crise se résoudra seulement si on s’attaque à ses racines, qui se trouve certainement pas dans les revenus des super-managers. En premier lieu, cela n’a pas de sens de maintenir le caractère privé de la production, quand les capitaux sont publics. L’anarchie irrationnelle de la concurrence et le déséquilibre permanent entre production et circulation des marchandises demeureraient, au détriment des travailleurs/contribuables. De telles contradictions peuvent seulement être résolues par une coordination d’ensemble, la planification de l’économie de la part de la collectivité, selon les priorités de la société et de l’environnement, et en commençant par la re-nationalisation des banques et des services publics. Ensuite, il faut s’attaquer à la contradiction entre le développement des forces productives et rapports de production. Les découvertes technologiques, et l’énorme augmentation de la productivité qui en a découlé dans les dernières décennies, peuvent permettre de réduire le temps de travail plutôt que de mettre des travailleurs au chômage. Mais cela ne peut se faire que si le temps de travail est réduit pour le même salaire, libérant ainsi des besoins et la possibilité de les satisfaire, et élargissant ainsi les limites du marché. S’il est vrai que la crise libère les monstres de la xénophobie et de l’autoritarisme et que la dépression de 1929 a ouvert la voie aux fascismes, cette même crise a aussi entraîné des réactions à gauche. Aux États-Unis en 1932 le sénateur Black, opposé au working sharing, qui redistribuait seulement la pauvreté et non le travail, a proposé une loi pour la réduction du temps de travail à 30 heures, qui fut seulement vaincue par l’opposition commune de Roosvelt et des entrepreneurs. Ce fut au contraire en France qu’en 1936, en pleine crise, fut approuvée une loi pour les 40 heures, qui a porté, pour le même salaire, le temps de travail annuel de 2496 à 2000 heures. La différence entre les États-Unis et la France c’est, qu’à l’époque, en France, était au pouvoir ce grand exemple d’intervention et d’action politique des travailleurs que fut le Front Populaire. Une expérience politique sur laquelle, mutadis mutandis, il vaudrait la peine de réfléchir. Aujourd’hui, en conclusion, face à une crise exceptionnelle qui met en évidence la faillite de tout un mode de production, le fantôme que l’on a voulu exorciser dans les derniers vingt ans redevient d’actualité, le socialisme. La possibilité de répondre à la crise économique et à la crise politique de la gauche passe ainsi par la capacité de proposer un projet pour une organisation alternative de la société et de l’économie.
Site de l’Ernesto: http://www.lernesto.it/
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